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Trois écrivains filmés


Il y a des périodes où l’offre culturelle prolifère. Décembre est dans ce cas, et juin aussi. Septembre surtout. L’arrivée de l’automne semble vouloir compenser les longues semaines estivales de vie matérielle et ludique où le monde entier se retrouve sur les plages. On rentre de la mer, le nez brûlé par le soleil, la tête remplie de l’espoir d’une vague qui vous emporterait sur une nouvelle plage au sable plus raffiné. Et on tombe effectivement sur une ouverture de la saison densifiée par ce mois d’août d’attente, où rien ne s’est passé en fait, où les artistes ont préparé leur film, répété leur rôle, écrit leur texte. Le texte des écrivains.

Justement, les écrivains. Trois coup sur coup, les héros de trois films de la rentrée, Mary Shelley, Douvlatov et Burning.

Mary Shelley : auteure de Frankenstein, née en Angleterre fin 18ème. La conquête de son statut d’écrivaine est bouleversante comme peut l’être la recherche chahutée de la reconnaissance sociale, la sortie de la pauvreté des déshérités (surtout quand la famille du conjoint est très riche, ce qui est le cas ici). Mary échappe au conformisme social incarné par sa Falcoche de belle mère qui voudrait lui refuser de vivre le feu qu’elle ressent en elle. Le conjoint ? Quel charme incroyable a cet acteur incarnant celui par lequel le renversement de fortune arrive. Son sourire inonde l’écran de sa lumière. On a fait la recherche : Douglas Booth, acteur de série qui a incarné Boy George au Royaume-Uni. On le reverra à n’en pas douter.

On ne connaissait pas Marie Shelley. Pas plus que son écrivain de mari, le beau Percy, pas plus que son père non plus, encore un écrivain. On a pensé à la sœur de Mozart, Maria Anna, claveciniste prodigieuse comme son frère, à laquelle Wolfgang vouait une vraie tendresse fraternelle mais qui a dû mettre sous cape son talent pour laisser son frère s’envoler. A la sœur de Claudel aussi, Camille, enfermée par son frère Claude et laissée pour folle. Aux épouses de tant d’artistes dont les noms n’ont même pas été retenus par l’histoire, quand ils ont été révélés. Lord Byron en hôte généreux et déjanté accueille l’ivresse de l’amour et de la création dans son château. Merci à Haifaa Al Mansour, cette artiste dont la nationalité saoudienne pouvait laisser présager, mais ce n’était pas certain, le courage et la possibilité d’un film si profondément féministe, si magnifiquement convaincant.

Avec Douvlatov, la difficulté d’être de l’écrivain se situe dans l’ère soviétique, à Leningrad en 1971. A huit ans, l’enfant Serguei Douvlatov a dit à sa mère qu’il serait écrivain. Le charme est réel de cette période révolue, conspuée, que l’inconscient collectif a gardé l’habitude d’annihiler dans une injonction anti-communiste primale. C’est un film d’Alexey German Junior, fils d’Alexey German, le Senior donc depuis l’existence du Junior, également cinéaste réalisateur. A-t-il prévu de nous faire détester cette lumière de l’ex et de la future Saint Pétersbourg sous le feu des exactions de ses services de renseignement? Il n’y réussit pas, bien au contraire. Le film met à la fois en scène le désespoir de l’écrivain désargenté et sa joie de n’avoir rien aussi, c’est-à-dire d’avoir tout, la possibilité de tout dire.

Serguei Douvlatov, comme Marie Shelley, n’est passé à la postérité que post-mortem. L’image aux tons pastel est crédible, et le capharnaüm des appartements collectifs n’a rien de repoussant. Il met au contraire en scène une convivialité bon enfant et la joie de vivre tous ensemble. Et le projet réussi de sauver la littérature russe.

Burning, du Coréen Lee Chang-Dong, des flammes qui envahissent une vie qu’on veut faire disparaître. Encore une découverte, celle d’un autre acteur merveilleusement beau, Steven Yeun, qui joue un personnage à la fois obscur et si profondément et perversement lumineux. Mais ce n’est pas lui l’écrivain. L’acteur Yoo Ah-In joue Jongsoo, un jeune adulte abandonné par sa mère et désœuvré dans sa vie. C’est lui le vrai héros, l’écrivain. Un écrivain qui n’a pas encore vraiment écrit, et passe plus ou moins son temps à chercher la voix de l’écriture en même temps qu’il cherche la voix de sa vie, sa voie dans le siècle coréen, à deux pas du dernier bastion communiste. Encore le même régime moqué et inquiétant, dont on entend les litanies vociférées dans les haut-parleurs de sa propagande. Jongsoo raconte en société, uniquement lorsqu’il est interrogé, qu’il a ce projet-là, d’écrire. Mais c’est sa vie qui va faire office de trame romanesque. Son projet d’écriture à côté ne fonctionne pas mais ne l’empêche pas de vivre non plus, de vivre complètement. Il court à la recherche de son amour parti il ne sait où. On est glacé par l’incertitude sur le destin de lui et d’elle. Et l’on a raison.

Mon mois de septembre restera éclairé par ces trois cinéastes qui racontent avec bonheur la vie et l’écriture de la vie. Autant d’écritures que de vies. Autant de succès d’écriture que de succès de vie. Autant d’échecs aussi, parfois temporaires, de l’Angleterre à l’Union Soviétique et la Corée.


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