Sophie Calle remplace Picasso et Dali
Sophie Calle au musée Picasso, une rencontre que je n’oublierai pas. Quel bonheur ces pieds de nez subtils à la bienséance ! D’abord : elle a fait remiser à la cave toutes les œuvres du grand homme disparu il y a cinquante ans, toutes sauf trois portraits, trois paires d’yeux pour surveiller les agissements de la grande Sophie en roue libre dans son lieu sacré. « À toi de faire, ma mignonne », ainsi est baptisée l’exposition, véritable événement autobiographique, en souvenir d’une phrase d’encouragement de sa mère à la petite Sophie déjà rebelle et morbide. Hasard du calendrier, en ces temps de remise en cause de la mémoire du grand séducteur, Sophie prend littéralement la place de Pablo. Son lien avec sa mère est une magnifique source d’inspiration, l’hommage funèbre qu’elle lui rend, ainsi qu’à son père, occupe une salle entière sous les combles. Seule photographie interdite de photographie, celle du cercueil abritant la dépouille maternelle et ses attributs (livres, foulards, photos etc) sélectionnés par Sophie pour le repos éternel de sa génitrice. Quant à sa mort à elle, à soixante-dix-ans elle l’obsède bien sûr et partage avec nous sa préparation minutieuse, à méditer joyeusement. De salle en salle, sur quatre niveaux, Sophie Calle flirte avec la photographie, la peinture, la littérature, la sociologie, le journalisme, le dadaïsme. Tout est loufoque, kitsch, poétique, intelligent, tout est Art, et même méta-art - de l’art sur l’Art - : la vie matérielle y compris ses recoins les plus intimes, les objets personnels partagés avec le public, les animaux sauvages et domestiqués, vivants et empaillés, les fêtes d’anniversaire, l’amant Pierre qui s’en va, le refus d’être mère. Moi l’homme pressé, je suis resté un couple d’heures à scruter chaque détail, mon record personnel pour une exposition. Ah non, la rétrospective Dali 1920-1980 à Beaubourg en…1980, les montres flasques séchant au soleil, l’apparition de Lénine sur un piano à queue. C’est ça, Sophie a pris la place de Salvador, l’homme à la grande moustache qui roulait les r, était « fou du chocolat Lanvin, adorait les Toutous Lanvin », pour ceux (quelques boomers ?) qui se souviendront avoir, comme moi, hurlé de rire à chaque passage de cette pub à la télé.
Comments