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Grand Paysan

En sortant du cinéma, Paris m'a envahi, et je me suis senti un peu perdu. Une envie de rentrer au Franprix, je ne savais pas très bien pourquoi. Au bout des rayonnages, le stand de réfrigération, j’en ai ouvert la porte, le lait frais. J'ai pris une bouteille de demi écrémé pour la ligne. Arrivé à la maison il n'y avait que cela qui comptait, boire le lait, du lait Franprix, marque de distributeur. C’était ma manière de connecter les deux mondes, celui du Petit Paysan et le mien.

 

Pierre, j’aime le prénom de ce Petit Paysan (Swann Arlaud) produit par Stéphanie Bermann. Pierre, banal, antique, comme le paysan de l’imaginaire collectif. Pierre pourtant si moderne. J'ai vingt ans de plus que lui, l’âge de son père, étonnant bobo de la campagne, échevelé, barbu, lecteur assidu, inhibé, dominé par sa femme. Mais lui ne compte pas dans le film. Seul compte Swann (un prénom que je préfère encore à Pierre en fait, appelons-le donc Swann), Swann dont le physique me touche, tellement vulnérable, des yeux d'enfant dans un corps d'homme, avec un cœur qui ne sait pas encore se donner facilement.

 

Depardon m’est revenu, avec sa Vie Moderne, ses vieux paysans d’Auvergne qui survivent dans un monde clos. Là, on est avec un jeune qui pourrait être Peter Camenzind, un poète de la ruralité, et la vie moderne est bien un sujet. Il y a des lignes à très haute tension partout. Le réalisateur (Hubert Charuel) semble les aimer, là où je les redoute tant. Elles sont en plein champ, au-dessus des têtes, crépitant de leurs électrons en vadrouille, irradiant les mamelles des bovins. Et puis il y a cette sœur si belle dans son cœur, la vétérinaire, censée identifier le mal parmi les bêtes de son frère. Elle est celle qui réfléchit des deux, elle devrait faire passer la loi qui ne rigole pas avec la peste bovine des temps modernes, trois lettres que personne ne connaît, comme en sont désormais affublées les épizooties globales, année après année. Elle accepte les passe-droits par amour pour son frère. Contrairement aux personnages - réels- de Depardon, on est chez des gens qui respirent la ville, ses codes, son lien avec le progrès. Le métier de paysan semble presque une activité de citoyen urbain. Pierre est connecté, il mène sa ferme comme on mènerait autre chose. D'où son étonnement lorsque la boulangère intrusive lui jette cette sentence en forme d’opprobre : « Tu sais, ce n'est pas grave si tu es un petit paysan ». Swann n’avait pas pensé que cela puisse poser problème, la boulangère retournera faire ses tournées en voiture et on ne la reverra plus.

 

On va voir Petit Paysan en se disant qu’on est parti pour un petit film, un de ces films français qui n'existent pas ailleurs, sans doute destiné à une deuxième vie dans les petits cinémas d'arts et essais. Non, ce film fera plaisir aux gens de la ville, il se pourrait même qu’il vire au blockbuster. Cette fratrie laitière m’a rappelé l’autre fratrie, vinicole du Sud-Ouest celle-là, dans Ce Qui Nous Lie, il y a quelques semaines. Changer de vie, quitter Paris. Un des marronniers favoris des magazines, et qui marche. Ces deux films disent que c'est possible, et aussi que c'est difficile. Ils racontent une France rurale pleine de technologie, hyper-contrôlée, ancrée dans le marché mondial. On en ressort en se disant que nos produits de la terre sont maitrisés comme nos bagnoles. Mais eux sont goûteux comme le lait de Franprix.


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