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Billets du hasard - Post 5/12 : Jour J+14, cabotage, décrochage


À bord de la MV Ilala, vedette déchue des années cinquante sortant tout juste d’un mystérieux lifting. La mécanique a fait peau neuve mais les tiroirs des couchettes sont restés de providentiels havres de paix pour cafards. Tant qu’ils tiennent à l’écart les punaises de lit… Quelques dizaines d’euros ont acheté trois jours de cabotage à deux sur le lac Malawi. Avec à peine plus de trois dollars par jour et par habitant (chiffre plus bas que dans tous les autres pays où le voyage m’a conduit), le Malawi est le sixième pays le plus pauvre du monde. Dans notre cabine première classe je m’essaie à l’écriture, las, le roulis finit par avoir raison de ma concentration. Protégé du bruit incessant des moteurs et des cris par des bouchons d’oreille, j’erre en zone inconnue, tente de m’accrocher à ce qui me reste de lucidité. Tendre, capiteuse et sombre, l’Afrique m’a capturé comme tant d’autres avant moi. Et je suis consentant. Pour ceux qui en saupoudrent leur existence, le voyage n’a pas besoin d’être expliqué. Dans Saisons du voyage, Cédric Gras s’y essaye pourtant : « Aujourd’hui, je peux avec plus de certitude affirmer que je pars, car je m’ennuie ». Mais dans Equatoria, Patrick Deville : « Ce qu’il y a d’assez fantastique dans cette vie, c’est que, quoi qu’on fasse, qu’on soit Jim ou un autre, on finit toujours assez vite par s’emmerder ». Allez comprendre. Vautrés sur les trois ponts, avec leurs bonnets et coupes-vent des Glénans, les cinq-cents passagers tentent de se réchauffer du vent du lac. Servi au saloon, le poisson chambo n’est pas frais, Boris et moi nous rabattons sur nos paquets de soupe chinoise instantanée. Nuit et jour aux escales, le brouhaha devient hurlement, on transborde au dehors et au-dedans depuis les deux chaloupes de l’Ilala avec l’aide des esquifs des villageois. Notre TGV circule avec quatre heures et quinze minutes de retard. Sur le pont supérieur, un poète m’entretient de ses affaires commerciales, c’est Arthur Rimbaud, je ne réussis pas à le sauver de sa mélancolie. Nous ne sommes plus les seuls blancs, c’est la première fois depuis le début du voyage.


#LacMalawi # PatrickDeville # CédricGras

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